Au cœur du quartier Mont-Mesly de Créteil, un immeuble HLM tombe en décrépitude. Humidité, moisissures, insectes… À mesure que le bâtiment se délabre, ses occupants s’impatientent. Deux ans après le début des problèmes, ils sont toujours dans l’attente d’une action du bailleur social.
@ Philippine Boulet
« J’ose à peine ouvrir, j’ai honte ». Derrière la porte jaunie de son appartement, Karine murmure, embarrassée. La mère de famille vit dans l’un des HLM du boulevard John Fitzgerald Kennedy. Son logement est au deuxième étage d’un immeuble identique à tous ceux du quartier Mont-Mesly de Créteil. Dans la préfecture du Val-de-Marne, les logements sociaux représentent 44 % du parc locatif. Voilà bientôt trois ans qu’aucun visiteur n’a pénétré dans l’appartement où Karine loge, avec ses deux enfants. En cause, l’insalubrité des lieux. Inconcevable pour cette femme de recevoir « dans un appartement pourri ».
Les traces sont disséminées dans chacune des pièces de ce F4. Dans l’entrée, un petit meuble occulte le placard qui mène à la tuyauterie. Percée, rouillée, cette dernière est hors d’usage et imbibe la pièce d’humidité. Karine a découvert la mauvaise surprise il y a deux ans maintenant. Depuis, rien n’a changé. Pour seule solution, le bailleur social local public, Créteil Habitat, a couvert le placard d’un sac poubelle. L’installation de fortune est censée limiter la propagation de l’eau. Un échec d’après la locataire qui mesure toujours 100 % de taux d’humidité dans le mur adjacent. Un problème qu’elle retrouve dans sa salle de bain. Sans système d’aération ni fenêtre, la vapeur d’eau peine à s’échapper de la pièce. L’ensemble du plafond est recouvert de tâches noires. Des moisissures qui forment un « ciel étoilé », comme Karine le surnomme avec ironie.
Effacer les marques d’humidité
De l’autre côté du palier habite Sonia*. Une petite femme vêtue d’une robe violette qui dit également vivre un cauchemar. Chez elle, ce sont les murs des toilettes qui s’abiment. Perchée sur sa cuvette en céramique, Sonia pointe du doigt des morceaux de peinture qui se détachent des murs et des moisissures. La locataire explique vivre ici depuis 30 ans. Pour elle, les problèmes ont commencé en août dernier. D’abord dans la colonne de tuyauterie puis dans l’appartement tout entier. « Les logements sont corrects, ce sont les travaux qui nous prennent la tête », déclare-t-elle.
À ses côtés, son fils approuve. C’est lui qui a pris le pinceau pour effacer les marques d’humidité après l’intervention d’un plombier. « Mais ça n’a rien changé », constate-t-il, amer. À peine quelques mois plus tard, des bulles d’eau se forment à nouveau sous la nouvelle couche de peinture. Au sol, les dalles se détachent petit à petit. Les locataires tiennent Créteil Habitat, le bailleur social, pour responsable. « Ils ne veulent pas faire de véritables travaux », d’après leurs mots. Contacté, l’organisme public n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Des nuisibles en plus de l’humidité
Avec Karine, la visite reprend dans les appartements du dessus. Après avoir grimpé une quarantaine de marches, celle-ci peine à respirer. Ses poumons ont perdu de leur capacité à force d’inhaler des moisissures. « La plus grosse erreur de ma vie », explique la quinquagénaire entre deux respirations saccadées. Celle qui pouvait faire le tour du quartier en courant est désormais sujette aux crises d’asthme qui finissent parfois à l’hôpital.
Arrivée au cinquième étage, Karine interpelle une autre voisine. Habillée d’un élégant col roulé blanc, Christina* propose, à son tour, une visite de son logement. Tuyauterie hors d’usage, sol gondolé, peinture écaillée… les maux sont identiques. Mais ici, en plus de l’humidité, des nuisibles se sont installés. Dans la cuisine de cette enseignante, les placards débordent de produits insecticides. Pour entrer dans la pièce, la locataire a pris l’habitude de se munir d’un masque. La raison ? Cette dernière redoute de « tomber face à des cafards ou des mites ». Elle affirme en apercevoir régulièrement. Lunettes rondes posées sur le nez, Christina feuillette les documents transmis à son assureur et au bailleur social. Elle affirme, avec désespoir, « ne plus savoir quoi faire ». Les deux organismes affirment que ces nuisances ne sont plus d’actualité mais se rejettent, tout de même, la responsabilité.
Un étage plus haut, même constat pour Claude*. Un nourrisson dans les bras, cette femme déclare batailler avec Créteil Habitat depuis deux ans. Comme pour les autres habitants de l’immeuble, moisissure et humidité lui gâchent la vie. Pour Claude, hors de question de baisser les bras. « Je mérite, on mérite tous de vivre dans des conditions décentes ». Quand Karine lui explique vouloir mener une action en justice, elle écarquille les yeux et hoche frénétiquement la tête. « On dépense tellement d’énergie chacun de notre côté, dans le vide. J’espère qu’ensemble, on pourra se faire entendre ! » Prochaine étape, organiser une réunion et monter un collectif.
* Les prénoms ont été modifiés
Philippine Boulet