Fondée en 2018, la Bagagerie de Clichy garde en sécurité les affaires des femmes sans domicile fixe. Trois fois par semaine, elles peuvent s’y rendre pour s’y restaurer, faire des lessives, se reposer et créer du lien.
Ce lundi soir, elles sont huit femmes sans domicile fixe (SDF) à se présenter à la Bagagerie de Clichy. L’association fondée en 2018 permet aux femmes SDF d’entreposer dans les 42 casiers disponibles leurs effets personnels le temps de stabiliser leur situation. Trois fois par semaine, les lundis et mercredis soirs et les vendredis matins, l’association ouvre ses portes afin d’offrir pendant deux heures du réconfort à ces femmes qui vivent dans des conditions difficiles. Ida est camerounaise et « accueillie» à la Bagagerie. «Je vis à l’hôtel social, mais il fait froid et il y a plein de cafards, ce n’est pas salubre», témoigne-t-elle résignée. Cheveux tressés, traits tirés et écouteurs dans une oreille, elle se confie. «Je ne peux ni manger ni me doucher là-bas, ça me dégoute.»
« Ici, on est chez soi »
Dans la salle d’accueil de l’association, toutes sont unanimes : la Bagagerie leur permet de se reposer. Le lieu se veut chaleureux. Au centre de la pièce trône une grande table de bois sur laquelle sont disposés des gâteaux secs, du thé et des sirops sucrés. Les murs blancs sont décorés de posters et de photos de l’association. Des affiches répertorient les numéros de téléphones d’urgences, des solutions de forfaits téléphoniques à prix solidaires et les règles de la Bagagerie. Dans un coin, des jouets pour enfants sont disposés. Bien que ce ne soit pas la priorité de l’association, les femmes SDF et mamans sont nombreuses. Ce soir, l’une d’entre elles vient trouver du réconfort. «Les mamans, elles sont fatiguées de leur journée, alors quand elles viennent, certaines sont à bout», confie Ida, en indiquant du menton son petit garçon ronflant dans sa poussette.
Situé dans le demi sous-sol d’une barre d’immeuble de Clichy, le local apparaît comme une seconde maison pour les « accueillies ». Avec sa doudoune rose et son grand sourire, Françoise s’assoit pour déguster son plat, réchauffé par une bénévole. La cinquantaine passée, elle est femme de ménage à Clichy, mais peine à subvenir à ses besoins. «Chacune à ses problèmes et chacune arrive avec, alors ici, on essaye de les mettre de côté pour profiter du moment». Derrière elle, deux tableaux blancs affichent les activités de la semaine. Au programme : ateliers confiance en soi, recherche d’emplois et le Noël des accueillies. «Ici on est chez soi», se réjouit-elle en croquant dans un carré de chocolat.
La solidarité pour sortir de la rue
Derrière la salle d’accueil, un couloir donne accès aux réserves ainsi qu’à une pièce servant de laverie et de cuisine. A l’intérieur, Jacqueline s’empresse de réchauffer des plats préparés sous vide libérant une odeur de curry indien. Clichoise depuis sa tendre enfance, elle fait partie de la quarantaine de bénévoles que compte l’association. Affairée, elle explique le fonctionnement de la Bagagerie. «Les femmes arrivent par la salle d’accueil pour y être recensées. Une fois notées dans le carnet, elles peuvent faire leur lessive et manger un plat chaud.» Un rituel millimétré, rythmé par le son des machines à laver et les rires des habituées.
De l’autre côté de la pièce, dans la partie laverie, Isabelle plie le linge avec quelques bénéficiaires. Cheveux courts et lunettes sur le bout du nez, elle se prépare à accueillir une nouvelle femme. «L’association a été créée à la suite de l’appel de 2015 du Pape pour lutter contre la pauvreté, précise-t-elle. Le père Thomas, prêtre de la paroisse de Saint-Vincent-de-Paul, l’a relayé en demandant de construire quelque chose qui n’existait pas à Clichy» explique-t-elle. Et ce quelque chose, ce fut la Bagagerie. L’association laïque reprend les modalités de fonctionnement de la Bagagerie d’Antigel, une association d’aide aux sans-abri à Paris. «Certaines femmes fréquentent peu les structures mixtes de peur des agressions. D’où l’idée d’un lieu qui leur soit réservé » renchérit Isabelle.
A côté de la pièce laverie-cuisine, un espace salle de bain est dédié aux « accueillies ». Vêtue d’un pull violet, Valentine, bénévole, propose aux arrivantes d’utiliser les douches si elles en ressentent le besoin. De sa petite voix, elle constate : «La rue, ça détruit tellement». Permettre la reconstruction, nouer des liens et rompre la solitude, c’est le pari de la Bagagerie. Seule ombre au tableau : les femmes françaises sortent plus rapidement de la rue que les femmes étrangères et sans papiers, qui nécessitent un accompagnement plus étroit avec les associations partenaires présentes à Clichy.
La soirée se poursuit. Les bénéficiaires arrivent et repartent. Camara est ivoirienne. Ce soir, elle ramène du foutou, un plat traditionnel de son pays. Sa joie communicative, elle la partage car pour elle, «c’est mieux que de pleurer». La parenthèse au sein de la Bagagerie prend fin. «Mesdames, je vous aime beaucoup mais je vous quitte, à bientôt j’espère», salut-elle en passant la porte.
Emmeline Clouet