En Seine-Saint-Denis, le tribunal judiciaire de Bobigny croule sous les dossiers. Dans la 18e chambre, en charge des comparutions immédiates, les magistrats essayent tant bien que mal de faire justice en rendant les décisions à la chaîne.
13h. La grande porte en bois derrière l’accueil du tribunal s’ouvre. C’est la salle 5 où l’audience de comparution immédiate de la 18e chambre commence. Face à des bancs clairsemés, les magistrats mettent de l’ordre dans des piles de feuilles : «Farrell. C, Daniella.P… Vous avez le dossier cinq ?» Au total, onze affaires sont à l’ordre du jour. On frôle le maximum des douze prévues par audience de ce type. Pourtant à Bobigny, la 18e chambre n’existe, en principe, que pour soulager la 17e, où sont traitées en priorité les affaires à juger rapidement. Mais dans la réalité, elles se partagent la montagne de dossiers à parts égales. Car en volume d’activité, Bobigny est le deuxième tribunal judiciaire de France.
Des affaires de stupéfiants traitées au pas de charge
Quinze minutes pour un délit d’importation d’1,2 kg de cocaïne à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Dans le box des prévenus, un Colombien de 63 ans flotte dans un costume trop grand. La présidente du tribunal, Sonia Lumbroso, expose les faits. À la douane, quatre sachets de poudre blanche ont été découverts autour de la taille d’Aristiz. A, débarqué d’un vol depuis Bogota. «À partir de là, tout est dit», soupire-t-elle, d’un air désabusé. Pas de question de l’accusation ni de la défense. Quelques mots sur la situation personnelle. Aristiz. A n’a plus de domicile depuis des années, malgré une activité de vendeur ambulant. Il écope d’une peine d’un an, dont 6 mois avec sursis.
À 14h40, cinq décisions ont été prononcées. Pour des affaires de cocaïne à la douane et d’acquisition de cannabis par des jeunes de Seine-Saint-Denis. Les délibérations suivantes sont plus longues. Au fond de la salle, trois collégiennes en stage de 3e s’impatientent sur un des bancs. «On a le temps d’aller à Miami et de revenir, là», s’agace Cassandra*, en dégainant son téléphone de son sac. «Ça fait 36 minutes qu’elle délibère, sérieux», abonde Mariam*, les yeux rivés sur la porte derrière laquelle débattent les juges.
Leur référente de stage, l’avocate Marine Boudjemaa, surgit derrière elles et s’amuse : « Vous, ce que vous aimez c’est les mandats de dépôt à la chaîne et les procès de tiktokeurs, c’est ça ? (rire) » L’une des trois filles proteste : « Non c’est juste qu’hier ça s’enchaînait, on n’avait même pas le temps d’aller chercher à boire ! » L’avocate les sermonne gentiment : « Oui le juge d’hier passait vite mais cette présidente de tribunal est connue pour essayer de prendre le temps. C’est plutôt positif, non ? »
«La comparution immédiate, je n’aime pas ça»
Dans la salle de délibéré, la présidente du tribunal, Sonia Lumbroso confie : «La comparution immédiate, je n’aime pas ça. C’est pourvoyeur de prison ferme et cela ne permet pas d’aller au fond des choses. » Pour s’octroyer le temps d’une décision mûrie, elle étire parfois l’audience jusqu’à tard dans la nuit. « Il arrive parfois que nous finissions à 2h du matin. Mais cela arrive de moins en moins car mesdames insistent pour que je prononce des renvois», poursuit-elle en jetant un regard complice à ses deux collègues, juges assesseurs.
L’une d’elles confirme : «Mme Lumbroso est résistante aux horaires à rallonge mais nous non (rire).» Elles souhaitent aussi que la présidente lève le pied car elle est en fin de carrière. Aujourd’hui, elle préside sa dernière audience en comparution immédiate.
Des cas complexes hérités d’autres services
Si le Parquet envoie autant d’affaires à la 18e chambre, c’est qu’il peine à trouver des audiences ailleurs dans le tribunal. Un phénomène que Sonia Lumbroso dénonçait déjà, en 2022, sur le site d’information 20 minutes.fr : «Comme tous les services sont débordés, certains dossiers de stupéfiants au long cours, voire de vols à main armée, finissent dans des audiences de comparution immédiate.»
Et en effet, une heure de l’audience du jour est consacrée à un vol avec violences. Le prévenu, un homme de 19 ans, nie avoir été en possession d’un couteau au moment des faits. Les témoignages écrits des victimes ne concordent pas. La présidente déplore d’ailleurs qu’elles ne soient pas là, faute d’être informées de la tenue de l’audience. Encore un des aléas d’une instruction précipitée. La décision tombe : l’affaire est renvoyée aux intérêts civils, pour que les plaignants puissent y assister.
23h, l’audience s’achève enfin. L’ambiance est plus légère. Sabrina Achachera, la greffière, glisse avec un léger accent du Sud : «On ne finit pas tard, ça va !» Les trois prévenus se prennent dans les bras dans le box. Ils sortiront libres ou avec des peines aménagées suite à des anomalies dans l’enquête policière. L’un de leurs amis, venu les soutenir, risque une plaisanterie : «Mme le Président, on se boit une coupe de champagne ?» L’avocat de la défense sourit mais lui fait signe de se taire.
Pour sa dernière présidence en comparution immédiate, Sonia Lumbroso reçoit les acclamations de ses pairs. Et quitte le tribunal sans nostalgie.
Morgane Pubert
*prénoms modifiés