Djouher Hadj-Henni, l’uppercut de la mixité

Sur le ring comme en dehors, Djouher Hadj-Henni, 39 ans, promeut une boxe anglaise inclusive où chacun, hommes et femmes, trouve sa place. Portrait d’une femme déterminée à faire taire les préjugés.

Aubervilliers, le 17 décembre 2024. En plus d’être présidente, Djouher Hadj-Henni anime des ateliers de sensibilisation aux discriminations et de prise de parole en public. © Oscar Lebreton

Soudain, ses yeux se plissent, ses biceps se contractent et ses poings frappent. Directs, rapides, implacables. Ses cheveux, attachés pour dégager son visage concentré, s’agitent légèrement à chaque mouvement. Sur le ring, Djouher Hadj-Henni attaque. Elle esquive. Elle défend. Il faut la voir, pleine de ténacité, équipée de son casque noir, de ses gants et de son protège-dents. L’énergie reste la même en tant que présidente du Boxing Beats, rue Lécuyer à Aubervilliers. « C’est un travail incessant car j’ai toujours des idées et des projets à développer », confie la boxeuse. Pour Saïd Bennajem, coach et fondateur du club, elle est une perle rare : « Si tous les clubs avaient une fille comme elle, la boxe se porterait bien mieux. » « Djou », comme il l’appelle affectueusement, s’investit à la tête du club depuis deux ans.

Aubervilliers, le 17 décembre 2024. Depuis 1999, les championnes du Boxing Beats ont remporté 58 titres nationaux, toutes catégories confondues. © Oscar Lebreton

Son prochain objectif : « fidéliser les adolescentes ». Les yeux rivés sur son ordinateur, l’habitante de Bobigny décortique les chiffres de son tableur. Dans la section éducative des 11-15 ans, les filles représentent 43 % des inscrits. Un chiffre encourageant, mais elles ne sont plus que 6 % passées 15 ans. « Les raisons de cette chute s’expliquent par un défaut de représentation dans ce sport perçu comme masculin, la pression de réussir à l’école plutôt qu’en compétition ou encore les difficultés de maintenir un poids de catégorie face aux changements liés à la puberté », explique la native d’Angers. Djouher Hadj-Henni place la mixité en tête de ses priorités.

« On m’a associée au secrétariat »

Sa vocation naît à Londres en 2010. Alors consultante en finance, elle commence la boxe anglaise dans un club dans lequel elle se heurte à « une misogynie de bas étage ». « Il y avait des coachs qui étaient complètement indifférents à notre sexe, sauf un. Ça m’a marquée parce qu’il ne laissait pas les filles monter sur le ring », déplore la jeune femme de 39 ans.

De retour en France avant le confinement, Djouher Hadj-Henni change d’orientation professionnelle en se consacrant à l’animation d’ateliers de sensibilisation aux discriminations et de prise de parole en public. En parallèle, elle cherche un nouveau club et découvre le Boxing Beats créé en 1999. Très vite, son engagement dépasse le cadre sportif, au point qu’elle en prend la présidence en 2022. Pourtant, ce nouveau rôle l’amène à s’interroger sur sa légitimité. Surtout face à d’autres boxeurs qui l’ont parfois fait douter. « Quand j’ai commencé à m’impliquer, on m’a associée au secrétariat. Ni moi, ni Saïd n’avons jamais parlé de ce rôle. Ce n’est pas méchant, mais ça en dit long sur la nature des représentations », regrette Djouher Hadj-Henni.

Aubervilliers, le 17 décembre 2024. Depuis sa fondation en 1999, le Boxing Beats a été dirigé par quatre femmes et deux hommes. © Oscar Lebreton

Ces stéréotypes profondément ancrés, elle les retrouve aussi au sein de sa propre famille. Lorsque cette jeune femme, ancienne pratiquante d’athlétisme et de basket, annonce à ses parents qu’elle se met à la boxe, leur réaction est marquée par l’inquiétude. « Ma mère craignait pour ma sécurité face aux hommes. Mon père, lui, se sentait rassuré que je sache me défendre. » Une peur partagée par d’autres parents du club, où les clichés sur la boxe, entre cocards et nez cassé, restent bien présents.

« Encourager les jeunes à vivre ensemble »

Pour accroître la présence de figures féminines au sein du club, Djouher se pose la question d’ouvrir un entraînement exclusivement féminin le samedi matin. Au risque de voir les femmes délaisser les cours de la semaine. Mais, l’argument de la mixité reprend vite le dessus : « Notre mission est d’encourager les jeunes à vivre ensemble, même dans un sport de combat. » Au début du mois de juillet, elle organise un stage en Normandie, mais seulement deux filles ont répondu présentes parmi les dix inscrits. « Si je n’avais pas été là, il n’y en aurait aucune », confie-t-elle. La présidente réfléchit désormais à des stages réservés aux adolescentes.

Aubervilliers, le 17 décembre 2024. Djouher Hadj-Henni suit une formation pour pouvoir encadrer les entraînements et compétitions. © Oscar Lebreton

Contrairement aux grandes championnes du club, comme Sarah Ourahmoune, vice-championne olympique à Rio en 2016, Djouher Hadj-Henni ne cherche pas à être un modèle. « Ce n’est pas parce qu’elle a réussi que tout est acquis », affirme-t-elle. La présidente préfère alors être une présence féminine pour rappeler aux petites filles qu’elles ne sont pas seules. Si elle est « rassurante envers les enfants » selon Saïd Bennajem, Djouher Hadj-Henni insiste sur le fait que « ce sont les modèles du quotidien les plus importants ».

Oscar Lebreton