Emilie Fritz est professeure d’EPS au collège Federico Garcia Lorca, à Saint-Denis. Depuis 8 ans, elle y enseigne le hip-hop aux élèves et les emmène dans de grandes compétitions. Une trajectoire à laquelle elle ne se destinait pas, finalement remplie de succès. Portrait.
«Je savais que je voulais devenir professeure d’EPS pour avoir une section danse à un moment donné, mais je ne pensais pas que ça allait arriver si tôt.» Emilie Fritz, 32 ans, enseigne au collège Federico Garcia Lorca à Saint-Denis. Dans la salle de pause des professeurs, accoudée à une table de ping pong, elle se tient dos aux coupes de l’école qui reposent sur une étagère. Elle se retourne : «Là, il y a une dizaine de trophées que les élèves ont remportés lors des battles qui permettent de se qualifier aux championnats de France de l’UNSS (Union Nationale du Sport Scolaire).» Tous les ans, c’est le même refrain. Emilie Fritz pense qu’elle n’aura pas le temps de préparer le championnat, et puis l’envie de gagner prend le dessus pour cette mordue de la danse : «On a fini deuxième l’année dernière à Marseille. Cette année, on vise la première place», affirme-t-elle.
Si Emilie Fritz hésite chaque année à se représenter, c’est parce qu’elle réfléchit en permanence à de nouveaux projets pour la section sportive de danse qu’elle dirige, HiphopLorca : préparation du spectacle de fin d’année, rencontres avec des danseurs professionnels, entraînements pour les championnats de l’UNSS… «Il y a deux semaines, on était à Rio avec 16 élèves de la section pour assister à la finale de break de la compétition Redbull BBC One.» Compétition pour laquelle ils étaient déjà partis à New York il y a deux ans. Autant d’opportunités pour ces élèves d’un collège classé REP+ (Réseaux d’Education Prioritaire renforcée), qui voient le jour grâce à l’investissement d’Emilie Fritz : «Pour le voyage au Brésil, j’ai tout géré toute seule, les réservations, contacter les écoles là-bas, les demandes de visa, le planning…. Je ne suis que prof d’EPS à la base», rappelle-t-elle.
Au total, Emilie Fritz encadre chaque semaine pendant trois à six heures 30 élèves de la 6e à la 3e, en parallèle de ses fonctions de professeure d’EPS. Sans oublier les spectacles de hip-hop qu’elle les emmène voir les weekends à Paris. Le projet HiphopLorca, Emilie y met toute son énergie : «C’est très dur de déconnecter. Même mon chéri connaît les noms de tous les élèves», s’amuse celle qui vit désormais à Saint-Denis avec son compagnon. Seule la boxe lui permet de ne plus penser à la danse : Emilie Fritz prend et donne des cours chaque semaine. Un sport qui l’aide à s’affirmer notamment dans son rôle d’enseignante. Elle se décrit comme de nature gentille, timide et loin d’être agressive : « Contrairement à la danse, la boxe me permet réellement de prendre confiance en moi. Maintenant, je sais ce que je vaux. »
Une passion depuis toujours
L’enseignement n’était pas le métier auquel elle se prédestinait. Originaire d’Alsace et passionnée de danse depuis qu’elle a huit ans, Emilie Fritz n’a jamais cessé de pratiquer. Classique, jazz, africain, tous les styles lui plaisent mais c’est le contemporain qu’elle choisit pour passer son bac L, option art en danse. Faute de moyens pour payer l’école qu’elle souhaite intégrer, elle effectue finalement des études de STAPS : «Ma professeure de danse à la fac de sport m’avait conseillé de devenir professeure d’EPS. Et je me suis laissée embarquer tout en sachant que j’aurai une section danse.»
Affectée en 2016 à Saint-Denis, elle reprend la section sportive pour y instaurer un parcours de danse. Le choix d’enseigner le style hip-hop s’est imposé comme une évidence compte tenu «de l’importance de la culture afro-américaine» dans cette ville, confie-t-elle, polaire oversize sur le dos et créoles pendues à ses oreilles. Un style qu’Emilie Fritz a découvert et adopté tardivement, qui la fascine toujours aujourd’hui : «La culture hip-hop est incroyable, que ce soit dans la lutte contre le racisme ou bien d’autres problématiques que je vois d’autant plus ici à Saint-Denis. Même si je ne suis pas concernée directement, cela me touche à travers mes élèves.» Elle s’est formée elle-même à la danse hip-hop sur le tas, en l’enseignant : «Quand j’y repense, je n’avais aucune légitimité. Au début, je faisais ce que je savais faire. L’un de mes anciens élèves me dit souvent que j’ai été son exemple parce qu’il m’a vu galérer en même temps que lui pour apprendre les pas.»
Une transmission de valeurs à ses élèves
Une détermination au service de ses élèves : «Je suis très exigeante avec eux et ils n’en ont pas forcément l’habitude. La danse leur permet d’apprendre à se discipliner et à persévérer.» C’est très rare que les élèves aient pris des cours de hip-hop avant d’intégrer la section. Quand ils arrivent, «ils ont tout à apprendre, en commençant par la ponctualité». Une rigueur qui permet à Emilie Fritz d’établir une relation de confiance avec ses élèves. Sans quoi elle n’aurait pas organisé ces voyages à l’étranger : «Maintenant quand on part, ils savent comment je fonctionne. Les grands m’aident en s’occupant des plus petits.»
Proposer des cours de hip-hop dans un établissement REP+ «redonne de la lumière au collège», estime Emilie Fritz. Sensible, la jeune femme a immédiatement cru en ses élèves. Elle leur a non seulement permis de s’émanciper et de prendre confiance en eux, mais elle a également tissé des liens forts avec les collégiens : «Je suis souvent très émue par leurs performances. On a créé une vraie famille et les élèves sont fiers d’appartenir à Saint-Denis et surtout au collège Federico Garcia Lorca.» «Les anciens», comme elle les surnomme, reviennent d’ailleurs régulièrement donner des cours de danse aux élèves. «Après sept années à la tête de la section HiphopLorca, malheureusement le côté REP+ prend encore trop le dessus. » Emilie Fritz a à cœur d’améliorer l’image du collège : «Le jour où un élève se présente pour intégrer le collège spécialement pour sa section hip-hop, alors ce sera le jackpot !»
Aujourd’hui, certains «anciens» sont devenus danseurs professionnels : «C’est grâce à leur travail. Je n’ai fait que leur ouvrir des portes.» Modestement, Emilie Fritz explique : «Les élèves m’ont aussi beaucoup apporté. Je me sens à ma place grâce à eux. Je suis toute seule dans ce projet de section. Voir leurs parcours, ça me prouve que je n’ai pas fait tout ça pour rien.» Arrivée à 24 ans dans ce collège, Emilie Fritz n’a pas l’intention de partir de sitôt.
Thaïs Moreau