Avec ses commerces branchés qui remplacent les bars à chicha, l’artère de 800 mètres reliant la place de la Mairie à la Gare de Levallois-Clichy est devenue la rue commerçante de Clichy.
Ce mercredi 18 décembre, jour de marché, la rue de Neuilly est animée par le va-et-vient des caddies et des poussettes. A l’heure du déjeuner, les groupes de collègues descendent de leurs bureaux pour s’installer sur les sièges en lin clair du Bakewell Café. A Clichy, dans la rue de Neuilly, les salons lounge chichas et restaurants kebabs ont laissé place ces dernières années aux brunchs et coffee shops, avec leurs vitrines colorées. Fini le parfum de viande et de friture. Le mobilier design a remplacé les tables en aluminium. Le fil rouge ? Moins de tabac, plus de matcha : cette boisson, devenue branchée, remplace progressivement le café à un euro jusque là servi au comptoir du PMU.
Quatre tables pliantes en métal rouge sont sorties devant Bakewell. Dans la vitrine, muffins à la myrtille, scones et breakfast sandwichs sont disposés. Paul et Joseph sont amis. Après des années de réflexion et de recherche, ils ont ouvert en août 2024 ce café mêlant recettes anglo-saxonnes et pâtisseries françaises. Après avoir prospecté des locaux à Paris, les trentenaires ont choisi la ville des Hauts-de-Seine pour s’installer. Accolée au café, la boutique d’Arnaud met, elle, à l’honneur les bandes dessinées. Entre figurines de fusées et mugs de Tintin, les derniers ouvrages de Guy Delisle et de Thomas Piketty sont en vitrine. Ancien directeur des ventes dans un groupe international, Arnaud a ouvert Chacun sa bulle il y a trois ans. Pour lui, «la rue de Neuilly est devenue la nouvelle rue commerçante de Clichy.»
L’ouverture d’un troisième restaurant brunch en novembre illustre cette dynamique. Ibrahim et son collègue ont choisi de s’installer au bout de la rue de Neuilly, près de la Gare de Levallois-Clichy, pour vendre leurs donuts et thé matcha. «C’est une rue très passante. La partie Levallois s’étend sur Clichy», soutient-il. A une centaine de mètres plus loin, la terrasse couverte de Plan A est installée. Morgan Plana, Clichois de naissance, a ouvert son bar-restaurant en 2018.
Bar brasserie Le Bon accueil, chez Nacer en 2008 devenu Plan A en 2018. Crédit : Google Earth
A l’intérieur, la lumière tamisée de la salle éclaire les chaises en cuir marron. Au mur, des carreaux de faïence bleue sont collés derrière le comptoir. Un style soigné qui tranche avec la décoration «dans son jus» de l’établissement précédent. «On a tout fait pour attirer les gens des bureaux et les primo-accédants des alentours», explique Morgan. Il cherche à cibler cette nouvelle population de cadres. Un exercice qui semble porter ses fruits. Ces jeunes cadres au pouvoir d’achat élevé importent leur mode de consommation dans le quartier. Ces enseignes à la mode, venues tout droit de la capitale, répondent à leur demande et transforment les commerces de la rue. Une épicerie en vrac créée en 2021 a toutefois dû mettre la clé sous la porte en mars. «C’est une histoire de timing, souligne Morgan. Je suis sûr que si elle avait ouvert deux ans plus tard ça aurait fonctionné.» L’ancien local est aujourd’hui préempté par la ville.
Une mairie qui supervise le choix des commerces
La mairie utilise son droit de préemption pour sélectionner les commerces qui pourront s’installer à Clichy. Les fonds de commerce sont rachetés par la mairie, en particulier ceux situés dans ce que la mairie nomme le «périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité». Cette zone couvre la rue de Neuilly jusqu’au boulevard du Général Leclerc. Pour obtenir un bail, les candidats sont mis en concurrence lors d’un appel d’offre et le conseil municipal prend la décision finale.
La mesure permet à la ville de façonner les rues comme elle l’entend et de cibler une population au pouvoir d’achat croissant. Un changement initié par le maire divers droite Rémi Muzeau, élu en 2015. Paul, gérant du Bakewell café a obtenu sans mal son local. «Dès qu’on a parlé de notre projet de brunch café à la mairie, on nous a donné champ libre».
«Maintenant c’est beaucoup plus calme»
Pour beaucoup d’habitants, Rémi Muzeau est un chef d’orchestre apprécié. L’installation de ces nouveaux commerces renforce le dynamisme de la rue et sécurise ses résidents. Zahra Kherbouche habite rue de Neuilly depuis quinze ans. En 2021, elle a ouvert sa boutique de location et de création de robes kabyles traditionnelles. «Avant, les nuits étaient mouvementées avec les jeunes qui restaient à parler dans la rue. Maintenant, c’est beaucoup plus calme», observe-t-elle. Presque trop. «Après le croisement de la rue de Paris, on dirait parfois que la vie s’arrête.», ajoute la commerçante.
A cela s’ajoute la multiplication des immeubles privés au détriment de la rénovation des logements sociaux. En quelques années, une dizaine de résidences sont sorties de terre. «Le 48 rue de Neuilly» en 2011, «Allure 57» en 2022 et «Quartz» cette année. Des constructions qui font monter le prix des loyers. Morgan désigne la pizzeria d’en face : «Là, avant, c’était 1500 euros le loyer, ça va. Aujourd’hui, ça a plus que doublé. Les bailleurs en ont profité, ils se sont adaptés au prix du marché.» Aux alentours, «le prix d’achat du mètre carré est passé de 6000 à 9000 euros», précise-t-il. D’après la dernière étude de décembre du Figaro immobilier, le prix du mètre carré aurait augmenté de 13% en 5 ans.
Face à la montée des loyers, une partie de la population est contrainte de changer de quartier, voire de ville. Une transformation qui menace la mixité culturelle et sociale de la ville. Horthense, la trentaine, sa poussette Cybex à la main, est une de ces gentrificateuses. Installée dans le quartier depuis sept ans, elle admet : «Alors oui, ça se boboise pas mal, mais moi je suis contente, j’aime bien ces commerces». Un matcha à 6,5 euros, tous les Clichois ne peuvent se l’offrir. D’après l’Insee, en 2021, le taux de pauvreté des ménages de la ville s’élevait à 22% en moyenne.
Thelma Gallicere et Maé Brault