Lancés en 2020, les travaux du projet « Cœur de ville » occupent une place centrale à Bobigny. Entre désaccords politiques, questionnement sur le devenir des logements sociaux et nouveau pôle d’attractivité, les enjeux sont nombreux.
«Bobigny / Pablo Picasso / Terminus du train.» À la sortie de la ligne 5 du métro, impossible de passer à côté. Le projet «Bobigny, Cœur de ville» est connu de tous. En construction depuis août 2020, il succède à l’historique centre commercial Bobigny 2, qui tombait en désuétude. 12.000 logements, un cinéma et une trentaine de commerces sont prévus pour le second trimestre 2025. Sur les lieux, l’odeur de la peinture fraîche se mêle aux solvants. Les camions, échelles et autres outils de chantier jouent une partition unique chaque jour. Dans cette dernière ligne droite des travaux, les ouvriers s’activent face aux Balbyniens remontant le boulevard Maurice Thorez.
Un projet signé 10 jours avant le changement de municipalité
C’est le cas de Dominique, 69 ans, retraité et habitant de la cité du Chemin Vert depuis 43 ans. Pour rejoindre son immeuble, il est contraint de contourner le chantier de 100.000 mètres carrés. Mais le problème est ailleurs. «Les tours construites sont hautes, tassées. On a complètement perdu la vue qu’on avait avant. On est tellement proches de nos futurs voisins désormais qu’on pourrait prendre l’apéro avec eux», blague le sexagénaire.
Des défauts que reproche notamment la mairie communiste, qui a hérité de ce projet, estimé à 400 millions d’euros, de l’ancienne mairie de droite… dix jours avant sa prise de fonction. «Nous savions que ce projet allait arriver, mais nous n’aurions pas procédé de la même manière. Le risque est que les commerces et les logements puissent s’inscrire dans l’élargissement du grand Paris et d’un phénomène de gentrification qui ne correspond pas à Bobigny», soutient José Moury, premier adjoint au maire.
Ce projet ne compte que très peu de logements sociaux. Pourtant, presque 60% des habitants de la ville en sont bénéficiaires, selon la mairie. Abdel Sadi, maire communiste de Bobigny a réussi à en négocier 170 sur 1.200 au promoteur immobilier Altarea Cogedim. «Le problème, c’est que ces logements sociaux sont estampillés PLS, c’est à dire financés par le Prêt Locatif Social. Cela représente les personnes qui pourraient presque prétendre à un logement privé. Ce qui n’est pas le cas de la majorité des Balbyniens», explique José Moury.
Les travaux sont lancés en août 2020. La livraison finale, initialement prévue pour le premier trimestre 2024. «Les travaux ont pris du retard pour plusieurs raisons. La pandémie du COVID n’a pas aidé. Nos fournisseurs n’arrivaient même plus à s’équiper en aluminium», explique un maître artisan, au milieu des immeubles. Il a été recruté en mars par le promoteur immobilier Altarea Cogedim pour permettre l’accélération des travaux.
« Une embellie de la ville »
Même si ce projet a pris du retard, le nouveau « Cœur de ville » de Bobigny prend vie. Sur les 1.200 logements prévus, 190 logements étudiants sont en fonction depuis septembre, tandis que plus d’une centaine de logements sont occupés. «Aujourd’hui, les premiers habitants commencent à s’installer petit à petit», poursuit-il face à une famille venue visiter les lieux. Au loin, deux femmes transportent péniblement des pots de peinture pour leur nouvel appartement. L’inauguration du Fitness Park s’est déroulée ce mercredi. Et la trentaine de commerces s’installera au premier trimestre 2025.
Quelques habitants jouent les curieux en bravant l’interdit de ce chantier privé et ceux rencontrés sont enchantés de l’arrivée de ce nouveau quartier. Adama, 46 ans et en situation de handicap, se réjouit d’un «centre qui sera animé. Un sentiment partagé par un grand nombre de Balbyniens». Une employée de la mairie, tout juste sortie de l’Hôtel de ville situé en face des travaux, décrit une future «embellie de la ville, qui est nécessaire».
De nouveaux travaux fin 2025
Les habitants des cités environnantes se montrent toutefois moins enthousiastes. Amar Mandja, retraité et président de l’amicale des locataires des immeubles dans le quartier Salvador Allende depuis 2013, s’est battu sans relâche pour les droits de son secteur. «Le projet Cœur de ville a été mal accueilli par nos cités car nous sommes délaissés depuis 50 ans, s’indigne celui qui réside là depuis 42 ans. Nos quartiers sont délabrés, peu accueillants, sans activités et en proie à la délinquance et au trafic de drogue.»
Amar Mandja s’est battu pour un projet de réhabilitation de six immeubles dans le quartier depuis de nombreuses années. Prévu en 2015, ce projet a été mis de côté au profit du Cœur de ville. Il a finalement été remis en route cette année par le maire, Abdel Salid, sous l’insistance du président de l’amicale. «Le projet a été signé le 2 décembre dernier par la mairie avec une enveloppe de 23 millions d’euros. Les travaux débuteront au plus tôt au dernier trimestre de 2025», se félicite Amar Mandja. Un épisode qui a permis au retraité de finalement se réjouir lui aussi du nouveau quartier de Bobigny.
Néanmoins, à l’ouest du chantier, un immeuble flambant neuf, entre le bâtiment de la préfecture, le métro et la future ligne 15, demeure vide. Achevé depuis 1 an et demi, il doit permettre d’accueillir des bureaux, mais les acquéreurs ne se bousculent pas.
Baptiste Fauthoux