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Michel Nait, appelez-le Bob – Grand Paris Popu

Michel Nait, appelez-le Bob

Michel Nait gère son pressing à Bobigny, une ville dont il connaît les moindres recoins. Installé là-bas depuis 1989, il a vu la ville se transformer. Et avec elle, ses habitants.

Michel Nait aime la clientèle qu’il a développée avec son activité de point relais depuis 2009 (T.C)

Une silhouette surgit du fond du pressing de la rue Miriam Makema, au centre de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Un homme à l’allure lente et modeste sort de la masse de vêtements accrochés sur les portants. C’est Michel Nait, le gérant. Mais ici, tout le monde l’appelle Bob. D’où lui vient ce surnom ? De son entreprise : Bob Pressing. Bob comme le diminutif de Bobigny. «C’était écrit sur la poignée de porte de mon premier local. Alors les gens ont commencé à m’appeler Bob», explique-t-il, la moustache hirsute dissimulant sa bouche. C’est à s’en mêler les pinceaux. Michel ? Bob ? Gardons Bob.

Un engagement pour les générations futures

Bob est une figure de la ville depuis 1989, année à laquelle il reprend le pressing. Pourquoi ? Pour se rapprocher de sa femme et de ses enfants en bas âge. «J’ai choisi la proximité à la richesse», raille-t-il. Depuis tout ce temps, il connaît la ville aussi bien que ses habitants. Il raconte plein d’anecdotes sur ses clients, les anciens élus qu’il a connus. «Je suis en train de vous noyer avec beaucoup de choses», s’excuse-t-il.

Il s’est d’ailleurs longtemps engagé dans la vie associative de Bobigny : au sein d’un groupe de commerçants, un autre de locataires. Il a également été bénévole dans le club de football de son fils. Pendant un temps, il a même fait partie de l’Office du Tourisme. Pourquoi tant d’engagements ? «C’est pour essayer de développer des infrastructures et transmettre ça aux générations futures, espère-t-il. C’est pour créer du relationnel et que ce ne soit pas qu’une ville dortoir.» 

Mais la ville a changé. D’abord visuellement. Des rénovations urbaines ont rasé des quartiers. C’est le cas de la cité Karl-Marx, en 2014. Et de sa dalle, sur laquelle Bob Pressing se trouvait. Aujourd’hui, c’est devenu un jardin d’enfants. Ce grand changement pour la ville n’a pas entraîné un déménagement très loin, puisque que Bob est «à même pas 200 mètres» de là où était situé son premier local. Mais il semble regretter cet emplacement au cœur des tours de la cité.

« Les gens ont perdu le sens du contact »

«C’était plus convivial», dit-il en haussant les épaules. Malgré tout, il peine à donner des exemples. Parfois, il se perd dans ses phrases. Il s’arrête en plein milieu, comme s’il nous laissait deviner la fin. «Ça faisait un peu village, poursuit-il avec nostalgie. Aujourd’hui, les gens ne cherchent plus à savoir ce qu’il y a autour de chez eux. Ils ont perdu le sens du contact à cause du téléphone. Ils rentrent, ils ne savent même plus dire bonjour. Plus ça va, plus on devient une société impersonnelle.» Il se sent déconnecté des gens. Un client rentre. Il vient pour déposer un colis. Bob lui lance un bonjour. Il scanne le code barre. Le client repart. «Je l’ai devancé, assume-t-il. J’ai provoqué le bonjour.» 

Sa relation avec les clients, c’est ce qui semble tenir son quotidien. Pour les habitués, il glisse toujours un mot, une remarque, une plaisanterie. «Il faut être proche», appuie-t-il avec vigueur. Il se souvient tout de suite des vêtements qu’ils sont venus récupérer. Certains clients continuent de lui «ramener des cafés car ils savent que j’aime ça».

Un homme arrive. Il pousse la lourde porte vitrée sur laquelle est inscrit «Joyeux Noël». Il vient déposer cinq jeans. Ça fait huit euros par pantalon. Un prix d’ami pour arranger les Balbyniens. «Cinq fois huit ?», interroge Bob, le regard espiègle. «Ça fait 40», répond instinctivement le client, tout sourire. Lorsque celui-ci repart, Bob confesse avec un air malicieux : «Je demande souvent combien ça fait. Moi je sais, je fais le calcul rapidement, mais je dis : « Aide-moi, j’ai un trou de mémoire ».» 

Bob a «dépassé les 65 ans», confie-t-il pudiquement quand on lui demande son âge. Une chose est sûre, il en a passé 35 à la tête de son pressing. Plus de la moitié de sa vie a donc été consacrée à son travail. Mais s’il a l’âge de partir à la retraite, il ne faut surtout pas lui en parler. Attention, il n’en n’a pas peur. «Je n’ai peur de rien», exprime-t-il sans laisser place au doute. Déjà, «il [lui] manque des trimestres à valider», explique-t-il. Mais très vite, on comprend que son métier, c’est sa vie. Malgré le cancer qui l’a touché, il ne s’arrête pas. «Mon épouse veut que je me repose, nous livre-t-il. Mon oncologue lui a dit : « Il ne veut pas s’arrêter, il faut qu’il travaille sinon il est mort ». J’ai vu beaucoup de gens à la retraite qui dépérissent car ils n’ont pas d’activité.» Pour l’instant, lui continue, «tant que la santé le permet…»

Thomas Chevallier