Classées « architecture contemporaine remarquable », les tours nuages de la cité Pablo-Picasso à Nanterre séduisent davantage dehors que dedans. Les résidents de la tour n°1 doivent, au quotidien, composer avec l’humidité qui détériore leur habitat.
« Tout est humide ici. Le compteur aussi, c’est dangereux, ça », souffle Emmanuel Tonga en essuyant les gouttelettes jaunes qui coulent le long du boîtier électrique. Le retraité habite depuis 18 ans au 9ᵉ et dernier étage de la première tour du quartier Pablo-Picasso, à Nanterre (Hauts-de-Seine). Il y a trois ans, une infiltration d’eau au niveau de la toiture a engendré de nombreux problèmes d’isolation, qui demeurent non résolus. Sur le mur du salon, la traînée de moisissure verte atteste des dégâts.
D’un pas déterminé, Emmanuel longe les pièces de son appartement. Dans le couloir, les photos de ses proches sont piquetées de moisissure. Dans les chambres et la cuisine, les fenêtres ovales typiques des « tours nuages » sont entourées de taches noirâtres. « On lave les revêtements toutes les semaines mais ça revient sans arrêt. » Ici, pas de double vitrage, l’air s’infiltre à travers les joints décomposés. Selon Emmanuel, le vent et la pluie pénètrent dans les pièces si facilement que le chauffage est allumé 24h/24h, tous les mois de l’année. Une perte d’énergie dont sa facture d’électricité fait les frais. Depuis 2021, elle a doublé, passant de 820 à 2100 euros*. « Ça devient tellement cher que la voisine d’en bas dort en manteau. »
Déloger les habitants pour redynamiser la ville
Depuis 2019, la ville de Nanterre porte le projet de rénover onze tours sur 18 du parc Picasso et d’en céder six à des acteurs privés. Dans ces dernières seront installés des bureaux, un tiers-lieu ou des commerces. L’immeuble d’Emmanuel figure parmi ceux qui seront rachetés. Les habitants, contraints de partir d’ici 2030, devraient être relogés par le bailleur social Hauts-de-Seine Habitat – qui n’a pas répondu à nos sollicitations. Cependant, les propositions de relogement peinent à satisfaire les résidents. « Ils nous ont annoncé ça en mai 2023. Depuis ils m’ont proposé un studio, mais j’ai mes filles, je les mets où ? », rétorque Emmanuel.
Au sein de l’immeuble, tous constatent une nette dégradation des conditions d’hygiène depuis l’annonce du projet de cession. Au 3ᵉ étage de la tour n°1, Mostafa Hadid et sa famille ont trouvé leur prochain logement, mais refusent de rester dans ces conditions indignes jusqu’à leur départ. L’animateur de 53 ans bataille depuis un an et demi pour que des travaux efficaces soient effectués. « Vu que c’est revendu, les bailleurs font l’autruche. Ils ne répondent pas à mes e-mails, et quand ils le font, ils m’accusent de mal nettoyer mon appartement », explique-t-il en agitant une lettre de Hauts-de-Seine Habitat reçue le matin même. Le document attribue l’insalubrité du logement au manque d’entretien des VMC, indispensables à la régulation de l’humidité de l’air. Lui comme Emmanuel déclarent que les VMC ne fonctionnent plus depuis plusieurs années. « La dernière fois, je leur ai dit que la VMC ne marchait pas. Ils ont mis une feuille de papier toilette devant, elle est restée en place, et ils ont conclu qu’elle marchait encore. C’est normal qu’elle tienne avec toute l’humidité ! », peste Mostafa. Chez lui, les portes et le sol gonflent avec l’humidité. Au plafond et autour des fenêtres s’accumulent de la moisissure noire et blanche.
« Toi aussi quand tu te mouches il y a du sang ? »
Assis sur le canapé du salon de Mostafa, les deux voisins discutent des multiples dégâts dont ils sont victimes. « On est malades de janvier à décembre », déclare Mostafa en avalant son café brûlant. « Ça coûte cher en mouchoirs cette affaire », s’esclaffe Emmanuel en plongeant son nez dans un essuie-tout roulé en boule. « Toi aussi quand tu te mouches il y a du sang ? »
Au 6ᵉ étage, les conditions sont identiques. Moisissures aux murs, rhumes et maux de tête sont de la partie. Une trentenaire ouvre la porte. Mariehla, en visite chez sa famille, s’inquiète pour ses proches : « En quelques mois, ma sœur a développé des dizaines d’allergies à cause de la moisissure. » Si la famille est prête à porter des réclamations pour dénoncer les conditions d’entretien de l’immeuble, s’éloigner de leur quartier serait un véritable coup de massue. Derrière Mariehla, sa plus jeune sœur s’indigne : « On nous a proposé un appartement à Clamart [à une dizaine de kilomètres, ndlr], j’ai cru que c’était un prank. »
*Factures EDF prenant en compte les variations du prix de l’électricité.
Marine Quéau