Notice: La fonction _load_textdomain_just_in_time a été appelée de façon incorrecte. Le chargement de la traduction pour le domaine newscard a été déclenché trop tôt. Cela indique généralement que du code dans l’extension ou le thème s’exécute trop tôt. Les traductions doivent être chargées au moment de l’action init ou plus tard. Veuillez lire Débogage dans WordPress (en) pour plus d’informations. (Ce message a été ajouté à la version 6.7.0.) in /home/u643358404/domains/ipjnews.fr/public_html/wp-includes/functions.php on line 6114
« C’était exceptionnel » : au PMU, la nostalgie de la cité Gagarine – Grand Paris Popu

« C’était exceptionnel » : au PMU, la nostalgie de la cité Gagarine

En briques rouges, la cité Gagarine à Ivry-sur-Seine est l’un des ensembles emblématiques construits dans les années 1960 en banlieue parisienne. Le bâtiment est détruit en 2020, pour être remplacé par un immeuble neuf. Dans le bar du quartier, les anciens entretiennent les liens sociaux créés dans la cité.

Karim, un habitué du bar Saint-Just. Il vient y retrouver ses anciens amis de Gagarine. ©Léonie Cadon

«Allez, tombe, tombe !» La tension monte dans le bar. Les cavaliers se rapprochent de la ligne d’arrivée. Un homme tape sur l’écran pour essayer de faire tomber le cheval en tête. Il n’a pas parié pour lui. Les hommes crient. Explosion de protestations. Puis le niveau sonore retombe. La course est finie. Les habitués retournent à leurs discussions. Des visiteurs viennent les saluer. Ils sont une petite dizaine dans cette partie du Saint-Just, un des nombreux PMU d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Le bar est divisé en deux : les anciens à gauche, les nouveaux à droite.

Les anciens, ce sont ceux qui ont connu la cité Gagarine avant sa destruction en 2020. La plupart ont déménagé à Ivry ou dans les communes alentour. Pourtant, ils continuent à fréquenter régulièrement ce bar, tout proche. Avec leur petite tasse de café fumant, ils parient et refont le monde. Une fois le sujet de l’ancienne cité lancé, la nostalgie ressort, les souvenirs se bousculent.

L’homme qui voulait faire tomber le cavalier, c’est Matar. Ici, il connaît tous les anciens. «Lui, il habitait dans le bâtiment C. Et toi t’étais où déjà ?» interroge-t-il de sa voix forte. Il s’impose dans l’espace, tout en s’excusant pour ses impolitesses. Il prend plaisir à raconter sa jeunesse dans le quartier. Il rencontre sa femme à Gagarine, puis déménage à Maisons-Alfort après la démolition. Il revient tous les dimanches dans ce bar. «Gagarine, c’était exceptionnel, s’exclame le miroitier avec fierté. Ça s’explique pas. Aujourd’hui, on a plus d’endroit pour se retrouver comme avant. On vient ici parce qu’on sait qu’on va voir du monde.»

Que la fête ne s’arrête jamais

Construite en 1963, en briques rouges, la cité Gagarine est un symbole du communisme. Dans les appartements, beaucoup de familles nombreuses. Elles changent de bâtiment à mesure que la fratrie s’élargit. Karim y a grandi, avant d’être relogé dans un quartier voisin en 2019. Toujours debout à slalomer entre les tables, il ne tient pas en place. «C’était un village, résume-t-il. On était bien chez nous.» Avec Matar, il se remémore les fêtes qu’organisait Rams, un voisin. La musique s’entendait à 300 mètres de l’immeuble. «On ne pouvait pas entrer dans le hall tellement la musique était forte», se marrent-ils. Il avait un slogan : «Que la fête commence et qu’elle ne s’arrête jamais.»

Dans la cité, tout le monde se connaissait. Les jeunes se retrouvaient sur le terrain de foot, ou à la cabane en bois dans le bac à sable, «avec d’énormes clous rouillés qui sortaient de la structure», précise Karim. Les adultes se croisaient chez l’épicier du coin, Mustafa. Retraité, le vieil homme au sourire aimable côtoie également le café. Tous reconnaissent qu’il a sauvé plus d’une personne. Il n’hésitait pas à faire crédit à ceux qui ne pouvaient pas payer tout de suite. Un lieu de «proximité sociale» comme il n’en existe plus dans le quartier, selon eux.

Une cité vieillissante

Certains clients s’accordent malgré tout à critiquer l’ancienne cité, parfois insalubre. Lunettes noires et blouson assorti, Karim connaît bien Gagarine. La voix posée de ce directeur de banque tranche avec les éclats de ses compagnons. Originaire d’Ivry, sa famille a longtemps habité à Gagarine. Il reconnaît que la cité était vieillissante. Son voisin argumente qu’il a vu plus de rats dans d’autres appartements. «Oui, on peut toujours trouver pire, répond Karim. Mais chauffe-toi là-dedans !» Ils sont accoudés sur une table branlante, à l’extérieur du bar. Toujours sur la gauche, côté anciens. 

Au moment de la destruction, les plans de relogement sont plutôt bien accueillis. Un homme âgé, chemise bleue et visage rond, se joint aux discussions. A 70 ans, l’ancien plombier regrette pourtant les liens de voisinage de la cité. Il habite au parc des Cormailles, à dix minutes du bar. Là-bas, les seuls voisins qu’il connaît sont des anciens de Gagarine. «Les mentalités évoluent. Aujourd’hui les gens ne veulent plus créer des liens sociaux, affirme-t-il de sa voix triste. Ils sont devenus solitaires.»

De nouveaux bâtiments sont en cours de construction. Deux sont déjà sortis de terre. Blancs, ils tranchent avec les briques rouges des vieilles cités encore debout dans les alentours. Les nouveaux habitants ont investi les lieux depuis quelques mois. Peu d’anciens sont revenus. «C’est blanc, c’est neuf.» «C’est impersonnel.» «C’est moche.» «C’est de la merde.» Les anciens de Gagarine s’accordent pour dire que le neuf n’est pas mieux que l’ancien.

Léonie Cadon