Depuis avril 2024, l’Église de scientologie a investi la ville de Saint-Denis, avec un nouveau grand centre situé à deux pas du Stade de France. Un emplacement réfléchi pour attirer de nouveaux adeptes. Une stratégie peu fructueuse, dont l’office du dimanche peu fréquenté est le reflet.
Tous les dimanches à 11 heures pétantes, c’est le même rituel. Un petit groupe de quatre à cinq personnes âgées de plus de 60 ans, vêtues de noir, s’installent sur les quelques chaises pliantes devant la scène. Les projecteurs s’allument. Une femme portant autour du cou un ruban violet orné d’une médaille prend place derrière le pupitre central. Dans cette grande salle quasiment vide, dont la moquette au sol est floquée du logo des scientologues, le silence règne.
La «ministre volontaire» de l’Église de scientologie de Saint-Denis entame l’office. Elle lit des textes aux fidèles venus l’écouter, issus du livre La Dianétique, écrit par L. Ron Hubbard, le fondateur du culte. Elle annonce les activités à venir, dont certaines permettent de «disséminer» leurs croyances. Autrement dit, les faire comprendre et les propager, grâce à la «soirée Scientology TV» du mardi, notamment. La cérémonie se clôture enfin par une prière lue en chœur par la petite assemblée.
Cet imposant bâtiment vitré qui intrigue les passants est l’Église de Scientology et Celibrity Centre du Grand Paris, le nouveau et seul centre de scientologie d’Ile-de-France, à Saint-Denis. Cet espace de près de 7.000 mètres carrés inauguré en avril 2024, quelques mois avant les Jeux olympiques de Paris, remplace les deux anciennes églises franciliennes. Et le choix de son emplacement n’est «pas anodin», selon la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). Elle détaille dans son rapport annuel de 2021 : «Le bâtiment de cinq étages se situe à proximité du Stade de France, du futur village olympique et de l’autoroute A1 d’où le mouvement pourrait rendre visible la croix à huit branches, son symbole.»
Des centaines de visiteurs pendant les JO
Pour ses partisans, et dans certains pays, la scientologie est une religion. En France, elle est définie comme une «secte dangereuse» par des rapports parlementaires, notamment depuis celui datant de 1995. Mais ces rapports n’ont pas de poids juridique. L’Église de scientologie peut donc opérer sous le statut d’association légale et s’offrir une telle vitrine.
La localisation du centre est ainsi bien réfléchie par les scientologues, qui peinent à recruter. Eux revendiquent 40.000 adeptes français depuis plusieurs décennies. Des experts dénombraient quant à eux, dans le rapport parlementaire de 1995, entre 1000 et 2000 fidèles. Selon un ancien cadre de l’Église de scientologie qui témoignait en 2022 auprès de Libération, ils étaient à peine 400 en 2010. Une bénévole de l’accueil de l’Église de scientologie confirme : «D’habitude, on a peu de visiteurs. Mais pendant les JO, on en avait des centaines par jour, c’était impressionnant pour nous.»
Alors pour l’occasion, les scientologues ont dressé un musée d’informations au rez-de-chaussée du bâtiment. De l’histoire de L. Ron Hubbard, à l’International Association of Scientologists, en passant par les «stages de purification», toutes leurs convictions sont expliquées. Pour chaque thématique, de grands panneaux explicatifs, en français et en anglais, entourent une télévision. Des films d’illustration peuvent être regardés en autonomie, avec un choix de 47 langues. Une librairie est également ouverte au public, dans laquelle sont vendus des cours virtuels, pour la coquette somme de 50 euros.
La mairie et des habitants mécontents
La mairie de Saint-Denis a bien tenté d’empêcher l’achat de ce terrain par les scientologues, se livrant à une «bataille administrative âpre», comme l’avait confié à l’AFP la municipalité. Mais la justice a donné raison à l’Église de scientologie, se basant sur son caractère légal associatif. Dans un communiqué, la mairie déclarait «subir cette ouverture et regretter que cet immeuble n’ait pas été préempté quand la Scientologie l’a acheté».
A l’entrée des bouches de métro, des fidèles effectuent régulièrement des opérations de tractages pour tenter d’enrôler les passants. Les habitants de Saint-Denis n’en sont pas ravis, mais ont vite oublié la présence de la secte sur leur territoire. «Ils auraient pu aller aux Champs-Elysées mais ils ont choisi Saint-Denis… Les habitants râlent mais personne ne fait rien», se désole Thierry, un acteur associatif local.
Selon Juliette*, une scientologue d’une vingtaine d’années, dont les deux parents font aussi partie de l’Église, distribuer des tracts ne permet même pas d’attirer un nouveau public : «Nous ne sommes que des habitués, ici. Pour moi, placer ce grand centre à Saint-Denis permet simplement de rassembler et d’unir les forces des anciennes églises qui étaient avant à Paris.»
Une opération de force donc, pour démystifier la scientologie. Et lorsqu’il est questionné sur les dérives sectaires de leurs croyances, Laurent*, scientologue serré dans un costume deux pièces impeccable, s’insurge. «Si on était tous barges, les gens ne rentreraient même pas», réagit-il. De fait, personne n’y rentre.
Margo Bierry
*Les prénoms ont été modifiés