Depuis juin dernier, une nouvelle monnaie circule sur le territoire de Plaine Commune : l’éco. Lancée par une association dionysienne, elle vise à soutenir l’économie locale, tout en réduisant l’empreinte écologique. De nombreux défis restent à relever.
A 17 heures, la rue Gabriel Péri, située en plein cœur de Saint-Denis, à deux pas du marché de Noël, s’anime. Les passants s’arrêtent, regardent les vitrines des magasins de vêtements, s’installent en terrasse malgré le froid, tandis que les vendeurs à la sauvette interpellent les passants. Dans la queue de la boulangerie de la Basilique, les clients affluent. Un couple de retraités s’apprête à payer par carte bancaire une commande de gâteaux. Ils passent devant la caisse sans remarquer le petit logo “éco” collé sous leurs yeux. «Je connais l’éco mais personne autour de moi ne l’utilise donc je ne l’ai jamais utilisé. Mais ça reste une bonne idée !», affirme la femme.
Depuis juin, la ville a une monnaie locale. Le principe est simple : offrir une alternative à l’euro pour soutenir l’économie locale et ainsi réduire l’impact environnemental de la consommation. «On veut sensibiliser la population à l’écologie, mais sans la blâmer. C’est un projet solidaire qui a pour but de soutenir son territoire donc il faut que les habitants jouent le jeu, on a besoin d’eux !», revendique avec enthousiasme Imane Mohammed.E, chargée du développement du réseau association et habitants au sein de l’association dionysienne Comité Eco, association très investie à l’initiative du projet.
Le principe : 1 euro est égal à 1 éco, disponible seulement sur le territoire de Plaine Commune, une intercommunalité regroupant neuf villes avoisinantes. L’application Carte Eco associée à cette monnaie dématérialisée permet de payer en scannant un QR code et de recenser les commerces qui l’utilisent : «Plus de 1200 particuliers et 150 professionnels sont sur notre application depuis son lancement», explique Imane Mohammed.E. Saint-Denis, Saint-Ouen et L’île Saint-Denis sont les premières villes à tester la mise en circulation de cette monnaie. Et le Comité souhaite faire perdurer le concept : «Il y a sur cette application un système de change automatique pour convertir les euros en écos et vice versa», indique Imane Mohammed.E.
Le principe d’une monnaie alternative n’est pas nouveau. Le Pays basque est le leader de la monnaie locale avec l’eusko, la première monnaie locale d’Europe. Son cofondateur, Dante Edme-Sanjurjo soutient d’ailleurs l’initiative dionysienne, assure Imane Mohammed.E.
Une initiative qui n’a pas encore rencontré son public
Pour autant, l’éco n’a pas encore rencontré son public. Fernando, caviste, est l’un des premiers commerçants de Saint-Denis à l’avoir adopté. Il soutient l’idée mais, dans sa boutique, la nouvelle monnaie n’est pas encore en vogue. «Je n’ai obtenu ces six derniers mois que 300 écos», explique-t-il en rangeant précautionneusement des bouteilles de vin. Deux de ses fournisseurs, un brasseur de bière et un boulanger, se sont également lancés dans l’initiative.
En face, chez Mad Optic, Avi Assayag, salarié depuis trois ans, confirme : «On est le seul opticien de Saint-Denis à avoir mis en place la monnaie éco. Pour l’instant, je suis assez sceptique car il n’y a pas réellement besoin de dynamiser l’économie locale à Saint-Denis. Je pense aussi que les habitants ne sont pas encore prêts à ne consommer que local. L’effet de communauté associé à ce principe d’économie locale importe assez peu ici.» Dans sa boutique, aucun client ne lui a déjà parlé d’éco. «Même certains membres du Comité ne payent pas en éco quand ils viennent chez nous», confie t-il.
Un projet qui se veut accessible
Souhila, salariée dans la boulangerie de la Basilique, est derrière le comptoir. Elle s’active, emballe les pains au chocolat et encaisse les baguettes. Rapidement, elle témoigne : «Un à deux clients par jour payent en éco. Le problème, c’est qu’ils ne savent pas comment scanner avec l’application. Je me retrouve souvent à devoir faire la transaction à leur place.» Le projet éco se veut néanmoins accessible, pour que tout le monde puisse faire des actions écologiques et solidaires à son échelle. Instaurer une monnaie dématérialisée à Plaine Commune représente un défi en raison de «la fracture numérique présente sur ce territoire», d’après Imane Mohammed.E. C’est pourquoi le Comité Eco organise régulièrement des médiations pour apprendre aux clients à l’utiliser.
Dans la foulée, une habituée de la boulangerie rentre et salue les salariés. Pour Nadia Boussa, l’éco n’a pas l’effet escompté : «Je travaille à Plaine Commune et tous les employés ont reçu 30 écos de leur employeur pour inciter à consommer local. Mais je le fais déjà. Je connais mes commerces de proximité et je n’ai pas besoin d’une alternative supplémentaire», insiste-elle. Elle croque dans sa baguette : «Je préfère que ce soit moi qui aille retirer de l’argent et qui paye les commerçants. Le fait de payer avec une application, je ne sais pas où mon argent va, je ne veux pas passer par d’autres intermédiaires.»
Le Comité Eco envisage, à terme, d’étendre l’utilisation de sa monnaie à l’ensemble des neuf villes de Plaine Commune. En attendant, Nadia Boussa prévoit de dépenser les 30 écos offerts par son entreprise pour s’offrir un «grand gâteau». Cet achat la convaincra-t-elle d’adhérer pleinement au projet ? Elle s’interroge. Une chose est sûre : du temps et de la pédagogie seront nécessaires pour que les habitants s’approprient durablement cette monnaie.
Thaïs Moreau