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Les anges-gardiens du lac de Créteil – Grand Paris Popu

Les anges-gardiens du lac de Créteil

Piliers du Collectif du lac de Créteil, Michel, Bernard et Pierre se battent pour préserver et valoriser l’un des attraits de la ville. Rencontre avec trois Cristoliens historiques qui n’ont pas peur du contre-courant.

Michel (pull rouge) et Bernard (écharpe grise) au centre, Pierre en haut à droite (veste marron), lors de la visite découverte du lac en janvier 2024. © Philippe du Collectif du lac de Créteil

Quel est le point commun entre un ancien ingénieur hydraulicien à lunettes, un ancien professionnel de la photographie à lunettes et un ancien gérant de camping à lunettes ? Oui, la retraite et les lunettes, peut-être, mais surtout leur amour du lac de Créteil. Michel, Bernard et Pierre sont trois Cristoliens de longue date qui ont décidé de dédier leur temps à la valorisation et la préservation de cette étendue d’eau de 42 hectares en plein cœur de la ville. Ils sont le socle du Collectif du lac de Créteil. « On est ceux qui connaissent le mieux le lac, et ceux qui veulent le sauver », résume Bernard, son béret noir posé sur la table du bar Le Salvador, à une centaine de mètres de l’eau.

Le sauver de quoi ? De l’installation d’une vague de surf par exemple. Il y a quelques mois, Michel, la barbe blanche et le verbe haut, révèle cette idée « à la con » de la société WaveRiding Solution, et surtout les difficultés économiques de l’entreprise. « Nous sommes des gens avec des grandes oreilles », glisse-t-il malicieusement. Les collectivités qui soutenaient le projet rétropédalent, la vague tombe à l’eau début décembre. « On est des fouille-merde, prévient Michel, mais on est là pour montrer autant les problèmes que la beauté du lac. »

Créteil, leur ville d’adoption

Au l’origine de l’histoire entre Michel et le lac, il y a une passion : la photographie. Toujours coiffé de son chapeau noir, il passe jusqu’à trois jours par semaine à observer et capturer la faune locale. « Apprendre à regarder, regarder pour apprendre », répète-t-il à l’envi dans sa laine grise. Il est le premier arrivé des trois à Créteil, dans les années 1960. Il assiste même à la création du lac. « L’hiver, je faisais des glissades sur le lac gelé », se souvient-il d’un air faussement coupable. Mais plus il observe, plus il se rend compte des problématiques qui agitent cette étendue d’eau artificielle.

Durant ses promenades, il rencontre Pierre. Ce dernier a l’oreille un peu fatiguée, mais l’œil vif. Lui aussi adore la photographie. « J’ai arrêté les photos humaines, car c’était trop compliqué. Je recevais des sales regards. Je me suis donc tourné vers l’environnement », explique-t-il. Pierre est le dernier arrivé au café, et aussi à Créteil. En 1986, il a suivi sa femme qui est venue travailler dans l’un des hôpitaux de la ville.

Bernard, lui, s’est installé une décennie plus tôt, dans les années 70. « J’ai eu une famille assez jeune, raconte-t-il. Les loyers à Paris, c’est impossible quand tu commences à être plusieurs. Je suis donc parti en banlieue ». La famille, c’est d’ailleurs ce qu’il retient le plus du lac. « Les meilleurs moments, c’est quand je me promène autour avec mes enfants et mes petits-enfants. D’ailleurs, c’est avec eux que j’ai appris à observer plus attentivement », confie-t-il.

Le lac de Créteil en 2013 © Paul Fleury

Quand le lac va à vau-l’eau

En 2014, Michel décide de créer le collectif du Lac de Créteil, avec deux autres personnes décédées depuis. « On savait qu’on n’allait pas se faire des amis », souffle-t-il. Il entraîne Pierre d’abord, puis Bernard, qu’il connaît depuis une rencontre dans les Alpes quand Bernard était alpiniste. « A l’époque, j’étais jeune, beau et sensuel », se marre l’intéressé. Avec ce collectif, ils organisent des visites découvertes et font de la veille sur tout ce qui nuit au lac et à sa biodiversité, comme la pollution et le braconnage. Le combat est compliqué par une répartition administrative du lac extrêmement complexe. Plusieurs entités privés et publiques se partagent des parcelles. « Chaque décision, c’est un bordel », peste Bernard en connaisseur, lui qui a été adjoint à la mairie de Créteil dans les années 1970.

Tout cet amour, le lac ne leur rend pas toujours. Pierre a fait partie des victimes du « pousseur », un déséquilibré toujours inconnu qui a agressé trois personnes ces derniers mois. Précipité dans l’eau après avoir été frappé, Pierre s’en sort avec une fracture de la cavité oculaire. Mais il relativise avec philosophie : « En 14 ans à faire le tour du lac, ça n’est arrivé qu’une fois. »

D’Alain Chabat à « se battre »

La passion déborde de chaque parole. Michel coupe parfois Bernard qui s’en agace, Pierre est plus taiseux. Le lac amène à discuter de tout : d’urbanisme, d’histoire, de philosophie, de cinéma… Michel sort même son téléphone pour montrer un célèbre sketch des Nuls où Alain Chabat sort du lac de Créteil. Les trois compères sont hilares. Mais la réalité d’un lac de plus en plus pollué les assombrit. « La biodiversité ? Il n’y a plus rien », déplore Pierre. « Le lac ne va plus être praticable pour quoi que ce soit », renchérit Bernard. « Mais devant notre action, ça bouge », positive Michel.

Les cafés finis, Michel longe le lac pour rentrer chez lui. « Depuis mon balcon, je ne suis plus en ville » se réjouit-il. Chaque pas au bord de l’eau amène l’observation d’un nouvel oiseau. Il se souvient avec émotion : « Un matin, dans le trou d’un arbre, j’ai vu le premier envol d’une nichée de mésanges bleues. C’était un moment suspendu exceptionnel ». Face au déversoir grillagé qui charrie les déchets de la ville jusque dans le lac, le moment est moins magique. « Si la baignade est interdite, c’est bien qu’il y a une raison », grimace-t-il. En s’éloignant avec son chapeau noir, il promet en son nom et celui de ses compères : « Tant qu’on pourra se battre, on le fera ! ». Le point commun entre Michel, Bernard et Pierre, c’est ça finalement. S’agiter jusqu’à leurs dernières rides pour que le lac n’en ait jamais.

Emeric Bravard