À 32 ans, Clémentine Guivarc’h travaille comme autrice-illustratrice dans l’édition jeunesse. Depuis le mois de septembre, son œuvre «Bonjour tigre», haute de six mètres, est affichée sur le Mur Pignon de la place Croix-de-Chavaux, à Montreuil.
Dans son gros pull vert et rouge, avec ses faux tatouages de Noël dans le cou, Clémentine Guivarc’h se penche sur sa grande tablette graphique. Autrice-illustratrice dans l’édition jeunesse, elle parcourt ses fichiers à la recherche de ses plus récents projets de dessin. À côté, sur son ordinateur de travail, un tigre dans une savane flamboyante. Depuis septembre, cette image est affichée sur le Mur Pignon de la place Croix-de-Chavaux, à Montreuil, sur six mètres de haut. C’est en gagnant un concours du Centre Tignous d’art contemporain que Clémentine Guivarc’h a pu disposer, sur cette place célèbre, son tigre et sa jungle.
Pour encore six mois, l’artiste fera sourire les Montreuillois. Les premiers retours sont déjà très positifs. «J’ai reçu des messages de parents me disant que leurs enfants voulaient que ça ne soit plus jamais enlevé, rapporte-t-elle avec un sourire. C’est une invitation à laisser son esprit vagabonder». Car oui, derrière chacun de ses dessins, Clémentine Guivarc’h souhaite transmettre un message : «ramener l’espace public à hauteur d’enfant». Dans son travail, l’imaginaire est omniprésent. Animaux curieux, monstres colorés et paysages flamboyants, Clémentine Guivarc’h cherche à faire rêver les enfants.
Pour mieux comprendre cet intérêt pour l’imaginaire, il faut retourner dans son enfance. Clémentine Guivarc’h est issue d’une famille d’artistes : une mère graphiste, un père créateur d’enseignes et peintre, une sœur vendeuse dans un magasin de jouets et une autre architecte d’intérieur. «Chez nous, il y avait toujours des bouquins, des contes avec des animaux anthropomorphes, mais aussi les Fables de La Fontaine. On allait aussi louer des cassettes de films d’animation fantaisie», se souvient-elle.
Son environnement familial lui a laissé la place de grandir en stimulant sa créativité : «Entre nous, on se donnait des surnoms, on se considérait comme une famille de hiboux». Pendant son adolescence, elle écrit des bandes dessinées avec les histoires de ses amis. «Le livre est venu de façon assez innée. Pour moi, l’illustration était à destination des livres pour enfants», retrace Clémentine Guivarc’h.
Pourtant, après avoir passé un bac littéraire, l’artiste se perd. Elle se lance lance dans des études d’anglais, matière dans laquelle elle est «plutôt bonne» et arrête au bout d’un semestre. Elle poursuit avec un BTS tourisme et essaie d’entrer dans une école de maquillage artistique avant de s’imaginer vendeuse caviste. En totale perdition, elle se recentre sur ce qui l’anime. «Ça serait peut-être pas mal de faire des études sur un sujet qui me plait, et après on verra», se raconte-t-elle. Elle fait alors une école d’illustration pendant deux ans.
Cette «phase de perdition» masque surtout une grande peur de la précarité. Avec des parents artistes indépendants, Clémentine Guivarc’h est consciente des difficultés qui l’attendent si elle se lance dans l’art. «Je savais ce que ça pouvait vouloir dire d’être artiste freelance en termes de moyens, de perspectives et je n’ai pas eu envie de faire ça tout de suite», souligne-t-elle.
«Le Smic, presque un objectif en soi»
Clémentine Guivarc’h met six ans avant de s’insérer et de gagner correctement sa vie. Durant ce long parcours, elle enchaine les petits contrats. Elle donne des cours de dessin dans des écoles primaires, prend un mi-temps dans une boutique de dessin et se lance dans le design textile. Les fins de mois sont difficiles. «J’ai instauré un loyer proportionnel avec mon ancien copain comme j’avais moins de revenus que lui, même dans mon quotidien j’ai dû être créative», confie-t-elle. Elle travaille ensuite pour un coloriste de BD, tout en continuant les petits boulots. «J’ai fait des bannières pour des sites internet avec des gens qui me sous-payaient. J’ai eu tellement de plans galères», plaisante-t-elle.
Elle entre dans le monde de l’édition en trouvant ses premiers contrats au Salon du livre jeunesse de Montreuil. Mais là encore, les conditions sont difficiles. «Une grande partie des illustratrices jeunesse sont sous le seuil de précarité. Le Smic est presque un objectif en soi», déplore-t-elle. Clémentine Guivarc’h a dû faire de nombreux sacrifices, mais ses perspectives sont désormais meilleures. «Ma visibilité a longtemps été de deux à trois mois, c’était fatigant moralement et psychologiquement. Maintenant ça va mieux.» Aujourd’hui, elle vit de son travail d’illustratrice. En parallèle, elle donne des cours en école de jeux vidéo, mais avant tout pour le plaisir d’enseigner.
Clémentine Guivarc’h a trouvé un équilibre entre sa passion, sa vie personnelle et sa charge de travail. «J’ai déjà eu des phases de surmenage qui m’ont égratignée, c’est pour ça que je m’intéresse à d’autres choses dans la vie que le boulot : les concerts, sortir avec mes amis, ma famille ou la danse afro !» Soucieuse de ne pas pratiquer son art seulement dans un cadre professionnel, elle s’autorise même à se laisser aller dans des projets créatifs plus marginaux. «J’ai pris un pseudo il y a un an et quand j’ai une idée un peu bizarre, je le fais avec ce pseudo», murmure-t-elle. Elle a notamment créé une page Instagram pour… son pouce.
Pauline Fragonas