Notice: La fonction _load_textdomain_just_in_time a été appelée de façon incorrecte. Le chargement de la traduction pour le domaine newscard a été déclenché trop tôt. Cela indique généralement que du code dans l’extension ou le thème s’exécute trop tôt. Les traductions doivent être chargées au moment de l’action init ou plus tard. Veuillez lire Débogage dans WordPress (en) pour plus d’informations. (Ce message a été ajouté à la version 6.7.0.) in /home/u643358404/domains/ipjnews.fr/public_html/wp-includes/functions.php on line 6114
Areski Ahdjoudj, le patron de la cantine des avocats de Bobigny – Grand Paris Popu

Areski Ahdjoudj, le patron de la cantine des avocats de Bobigny

Derrière le tribunal de Bobigny, Areski Ahdjoudj sert steak-frites et salades aux ténors du barreau, tous les midis. Seul commerce du quartier Pierre Semard, le Restaurant du Palais accueille également les salariés des plus gros employeurs de la ville. Et leurs confidences.

Dans son Restaurant du Palais, le discret Areski Ahdjoudj est au cœur de l’actualité du tribunal et du département. Crédit : Morgane Pubert

C’est à ses tables que se retrouvent la défense et l’accusation. Areski Ahdjoudj tient le Restaurant du Palais, une petite brasserie nichée derrière le tribunal judiciaire de Bobigny, en Seine-Saint-Denis. À 15h, les clients ont regagné les salles d’audience. Derrière le bar, le gérant de 37 ans essuie les couverts, fraîchement sortis du lave-vaisselle. Un petit sourire adoucit ses sourcils légèrement froncés et son col roulé austère. «C’est un peu la cantine des avocats ici», explique-t-il pudiquement en embrassant d’un regard tendre les dix tables en bois sombre et les banquettes de cuir rouge. «Il y a un procureur qui vient tous les jours. Il prend toujours un verre de rosé puis un café allongé sans sucre et le couscous, le jeudi», récite le commerçant.

Une enfance parmi les robes noires

Areski Ahdjoudj connaît le calendrier des procès et devine les rôles de chacun. «Je sais que les plaignants ne doivent pas être à côté des jurés. Et il y a deux clientes, une journaliste de l’Agence France Presse et Nathalie Revenu du Parisien, quand elles sont là, je sais que c’est une grosse affaire et que je vais avoir du monde.»

Si le restaurateur est aussi à l’aise au milieu des robes noires, c’est qu’il a grandi dans la brasserie. C’est sa mère qui l’a créée. En 1986, elle quitte son poste de secrétaire de direction et ouvre le bistrot à la française dans une ancienne clinique vétérinaire. «Je faisais mes devoirs juste là», se souvient le restaurateur, en désignant la table face au bar. Sa serveuse, Jenna, décroche une photo au-dessus du comptoir. «Il avait 12 ans là-dessus. Regarde moi ce sweat jaune», se moque-t-elle gentiment en désignant un petit garçon fièrement dressé sur la pointe des pieds.

Il reprend le restaurant en 2019 lorsque sa mère s’absente longtemps, pour le décès d’un oncle en Algérie. Areski Ahdjoudj est alors gérant d’un restaurant dans le XVIIIe arrondissement, à Paris : Le Club des Bons Vivants. Faute de rentabilité suffisante dans son premier restaurant, il décide de s’en séparer pour se consacrer à plein temps à la brasserie de sa mère.

Le témoin d’une époque

Depuis qu’il a repris le commerce, la clientèle a changé. «Maintenant, les magistrats sont plus jeunes parce que ça tourne plus au tribunal. Du temps de ma mère, on voyait les mêmes têtes pendant des années.» Une figure lui laisse un vif souvenir : «Eric Dupont-Moretti est passé plusieurs fois pour plaider aux assises. Franchement, il a une aura.» Mais certains usages l’interpellent : «Le président du tribunal demandait à manger avec M. Dupont-Moretti. Pour moi, c’est bizarre que les avocats déjeunent avec les juges.»

Le Restaurant du Palais est le seul commerce sur la froide dalle de béton qui rassemble les plus gros employeurs de Bobigny : le tribunal, la chambre de commerce de Seine-Saint-Denis et la Sécurité sociale. Mais loin de ne parler que de sentences et de remboursements, les employés s’y confient. «On me raconte les histoires de cœur, on rigole bien.» Pourtant, il arrive aussi que la bonne humeur ne résiste pas. «Pendant l’affaire Théo [un jeune homme est devenu handicapé à vie suite à une interpellation violente à Aulnay-sous-Bois, ndlr], c’était tendu le midi. On a aussi des policiers de la préfecture qui viennent manger. Mais les clients se tiennent.»

Une carrière qui ne va pas de soi

S’il a fait toute sa carrière dans la restauration, Areski Ahdjoudj ne s’y destinait pas du tout. «Quand j’étais ado, je n’aidais pas spécialement à la brasserie. J’aimais trop ma liberté», confie-t-il. Après un bac économique, il intègre une licence en éco-gestion. Comme son père comptable. «Ça ne me branchait pas non plus, j’ai arrêté. Mais mes parents m’ont dit soit tu viens travailler au restaurant, soit tu quittes la maison», poursuit Areski Ahdjoudj, en remuant la salade César qui lui fera office de déjeuner tardif. «Je n’avais pas envie d’être propulsé dans le monde des adultes, donc je me suis inscrit dans un BTS de communication d’entreprises. Je ne m’y suis pas plu non plus.»

Plus jeune, le commerçant préférait se distraire à la MJC, à quelques rues du «Palais». «J’habitais à Drancy, mais tous mes copains étaient là. Il y avait plein d’activités et de voyages organisés», s’exclame-t-il, les yeux brillants. Mais la MJC ferme après l’élection du maire de centre droit (UDI), en 2014. «À partir de là, notre côté de la ville a été laissé à l’abandon. Maintenant, les jeunes glandent sur la dalle. Je pense à mon fils de 4 ans : qu’est-ce qu’il ferait là ?», se désole le commerçant. Areski Ahdjoudj tente alors de relancer la MJC, sans succès. «Il faut des gens à la mairie pour pousser. Mais ils ne viennent plus ici, même les élus communistes actuels.»

Signe que le quartier Pierre Semard est toujours boudé : la passerelle qui le relie au reste de la ville est fermée depuis trois ans. Alors, si les affaires du restaurateur continuent grâce aux bureaux, Areski Ahdjoudj est lassé et souhaiterait changer de métier. Sans savoir quoi faire d’autre. Mais une chose est sûre : il ne veut pas de cette vie-là pour son fils.

Morgane Pubert