Ce passionné d’images et d’histoire réalise des photos comparatives de lieux d’Aubervilliers et au-delà. Portrait d’un homme de 66 ans absorbé par la vie des gens d’autrefois… et d’aujourd’hui.
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Il est assis à côté de la fenêtre, engoncé dans son manteau. Derrière lui, des dizaines de classeurs et de documents sont entassés sur une vieille étagère. Ses lunettes rectangulaires tombent légèrement sur son nez et ses cheveux bruns sont un peu ébouriffés à l’arrière de son crâne. Didier Hernoux ne se soucie guère des apparences. Il semble entièrement se fondre dans le décor de cette petite pièce de la Société d’histoire d’Aubervilliers, croulant sous les archives, les livres, les articles découpés dans les journaux, les cartes, les posters, les vieilleries qui inondent chaque recoin de cette ancienne ferme du XVIIe siècle.
Entièrement dévoué à sa tâche, il s’efface derrière son travail, mais aussi derrière les autres. « Ce qui me touche, c’est l’attachement des gens à leur ville et à leur entourage », explique le retraité. Et c’est précisément ce qu’il étudie. Déjà, à travers la Société d’histoire, une association qui permet de rassembler et de populariser des recherches sur la vie albertivillarienne d’autrefois. Mais surtout à travers son obsession pour l’image. « Je suis iconomécanophile, collectionneur de vieux appareils photo si vous préférez. J’en ai au moins 80 chez moi », sourit-il. Didier Hernoux est animé depuis quelques années par ce qu’il appelle un « travail comparatif ». Cela consiste à retrouver d’anciens clichés d’un endroit précis, puis de se rendre sur place, d’essayer « de mettre ses pieds exactement là où étaient ceux du photographe d’époque », afin de prendre exactement la même photo et d’obtenir un avant/après saisissant.
« Ce regard humaniste qui me plaît »
Cette étrange passion s’est emparée de lui en 2016, le jour où son fils lui a apporté un carton rempli de négatifs représentant les membres d’une famille. « La vision de ces images m’a touché car le photographe qui a pris ces clichés avait ce regard humaniste qui me plaît », se souvient-il, une bribe d’émotion dans la voix. Il a alors entrepris spontanément un vaste travail de restauration et d’enquête à partir des négatifs pour retracer l’histoire de cette famille depuis 1930, allant même jusqu’à retrouver la petite-fille. Il s’arrête un instant dans son récit, regarde droit devant lui, puis reprend plus doucement encore ses phrases coupées par de grandes inspirations : « J’aime bien faire des choses qui ne servent à rien, parce qu’il y aura toujours quelqu’un pour faire ce qui est utile ».
Pourtant, ses travaux permettent de replonger dans un passé souvent oublié et de retracer des mutations urbaines très importantes, notamment à Aubervilliers. Sur le site de la mairie, il est possible de consulter une carte interactive qui référence divers lieux de la ville et en offre un comparatif avant/après à partir des clichés de Didier Hernoux. « Lorsqu’on a discuté du projet avec la mairie, je ne voulais pas qu’ils mettent mon nom sur le site, mais ils l’ont fait quand même », plaisante-t-il à moitié. Modeste ? Sans aucun doute. Mais pour Didier Hernoux, la question est surtout de « savoir ce qui est important et ce qui ne l’est pas ». Encore une fois, l’homme disparaît derrière son travail.
Retracer le passé tout en se tournant vers l’avenir
Originaire de l’Aisne, Didier Hernoux a grandi à Saint-Quentin, entouré de ses deux frères et de sa sœur. Fils d’un père soudeur et d’une mère femme de ménage, il ne pensait pas un seul instant s’extraire de son environnement populaire. A l’aise à l’école, il saute le CP et obtient son bac avec un an d’avance, ce qui lui évite de commencer directement à travailler à l’usine comme la plupart de ses proches. Il débute dans la téléphonie, avant de se diriger vers le bâtiment. Gestion d’entretien, gestion de travaux, puis maîtrise d’ouvrage. Ce sont les grands chantiers immobiliers qui l’ont conduit à Aubervilliers en 1986. Il s’arrête à nouveau, s’étend sur sa chaise et se met à réfléchir très sérieusement, comme s’il répondait à une colle : « j’ai 60… heu.. 65… non 66 ans », hésite-t-il.
À la retraite depuis 2018, il passe le plus clair de son temps entre Aubervilliers et la Corse, où il a restauré l’ancienne maison de son beau-père. Absorbé par l’histoire et le passé, Didier Hernoux n’en est pas moins tourné vers l’avenir. « C’est vrai qu’il y a une sorte de dichotomie à ce sujet », constate-t-il pensif. Pour ses nombreux projets, il collabore actuellement avec le musée Pascal Paoli à Morosaglia en Corse pour préparer les 300 ans de la naissance de cet homme politique en avril. Il espère aussi réaliser un travail comparatif avec les scolaires d’Aubervilliers sur des clichés de la ville, comme il a pu le faire en Corse.
Le reste de son temps, il le consacre à sa femme et à ses petits-enfants. Toujours désireux de rendre service, il n’a de cesse d’échanger avec les autres. Déjà dans son métier, c’était le tutorat qu’il appréciait le plus. « J’ai toujours aimé les relations avec les gens et donner de mon temps aux autres », se souvient-il. Une sensibilité des plus utiles lorsqu’il s’agit de parcourir ces bribes d’histoire auxquelles il tient tant.
Clément Schott