Dans un établissement historiquement engagé à gauche, le profil de ce jeune enseignant originaire du Sud-Ouest dénote par ses passions et convictions.
« C’est bon aussi de se retrouver face à des gamins qui n’en ont rien à faire. Ça donne de l’humilité. Quand on est passionné par sa discipline, on a parfois tendance à croire qu’elle explique tout, qu’elle éclaire le monde entier. » Jean-Baptiste Lucq sait qu’on dépeint souvent son établissement comme « difficile ». Le lycée Joliot-Curie de Nanterre (Hauts-de-Seine) fait régulièrement parler de lui pour des problèmes de sécurité, le décrochage scolaire ou des atteintes à la laïcité. Si certains élèves lui donnent du fil à retordre, le professeur d’histoire-géographie explique voir cela comme un défi. « On ressent vraiment une responsabilité vis-à-vis des enfants. Je suis convaincu qu’on a un rôle primordial à jouer », défend l’enseignant de 28 ans.
Ni de gauche, ni militant
Si l’équipe enseignante du lycée Joliot-Curie est réputée pour son fort engagement, Jean-Baptiste Lucq se distingue bien de ses collègues. Ni de gauche, ni militant, il se définit lui-même comme de « droite conservatrice » et affirme : « Je pense que c’est à droite que l’on a les discours les plus intéressants ». Si ses idées ne sont pas celles de ses collègues, cela ne l’empêche pas de discuter avec eux et de reconnaitre la légitimité de certaines de leurs revendications, sans pour autant participer aux manifestations. « Il est parfois légitime de monter au créneau. Je soutiens la limitation du nombre d’élèves par classe. Sur ce point, les syndicats, peu importe leur bord, ont raison de militer. » Jean-Baptiste explique cependant s’opposer à certains idéaux entendus en salle des profs : « Il ne faut pas sombrer dans l’idéalisation. C’est une tendance que je remarque chez certains collègues, notamment les jeunes professeurs qui arrivent en pensant : « Je vais sauver ces gamins ! » – une sorte de syndrome de l’infirmière. Cela peut sembler un peu prétentieux, naïf et parfois éloigné de la réalité. »
Il y a presque un an, au lycée Joliot-Curie, un professeur avait été menacé de mort pour avoir montré des caricatures de Charlie Hebdo. À titre personnel, lui refuse de montrer les dessins. « C’est un sujet délicat. Je suis croyant et je ne suis pas très à l’aise avec les caricatures blasphématoires… Cela dit, je reconnais que le droit au blasphème est fondamental. Je ne me vois pas afficher ces caricatures, mais je respecte le rôle de Charlie Hebdo. C’est une partie de l’esprit français qu’il faut préserver .»
« Je trouve pas mal de points communs entre l’enseignement et la tauromachie »
Ce professeur de Nanterre aurait pu suivre un autre chemin. Originaire d’un petit village près de Dax (Landes), il entre en prépa littéraire en 2013, puis il intègre l’École des Chartes en 2016. Entre les métiers du patrimoine et le monde de l’enseignement, il n’a pas hésité une seule seconde : « Je suis passionné par l’histoire et, quand on est passionné, on rêve de transmettre sa passion aux autres. Je ne voulais surtout pas travailler dans les archives ou rester enfermé dans des bibliothèques. »
Jean-Baptiste a un autre grand amour : la tauromachie. En parallèle de ses études à l’École des Chartes, il a suivi une formation en école taurine et a été novillero, c’est-à-dire torero pas encore confirmé. Finalement, en 2020, le Covid frappe et met un frein à sa carrière : « On peut dire que le confinement a choisi pour moi. J’avais pris trop de retard dans ma formation à l’école taurine, j’ai donc choisi le monde de l’enseignement. » Lorsque le jeune professeur pose ses bagages à Nanterre, paradoxalement, il « trouve pas mal de points communs entre l’enseignement et la tauromachie. Il y a une approche instinctive. Attention, je ne dis pas que les élèves sont des taureaux, hein ! Ce que j’aime bien justement, c’est ce côté humain imprévisible, c’est ce qui rend le métier passionnant. Il faut apprendre comment interagir avec eux. Avec les taureaux, c’est pareil : tout dépend de la façon dont on se présente face à eux, du rythme qu’on adopte. Ce qui compte, c’est de trouver une forme d’harmonie et de garder le contrôle ».
Et la suite ? Jean-Baptiste compte rester dans l’enseignement, mais n’exclut pas de quitter la région parisienne pour retourner à ses racines du Sud-Ouest. Il apprécie enseigner à des lycéens, mais rêve d’être professeur en classe préparatoire. Pour l’heure, aucun regret d’avoir choisi l’enseignement plutôt que la tauromachie, même s’il reconnait être confronté à de nombreux défis dans cette profession : « Ce n’est pas le métier le plus dur du monde, mais ce n’est pas toujours simple non plus. On fait face à des situations graves, qui engagent l’avenir des élèves, souvent dans des contextes familiaux compliqués. Ce n’est pas un travail que l’on peut faire « les doigts dans le nez », comme on l’entend parfois. »
Manon Rasplus